Burundi - Le retour d’Alfred Museremu au sommet fait resurgir l’ombre d’un passé sombre marqué par de graves accusations de violations des droits humains

Après près de deux ans d’éloignement des hautes sphères du pouvoir, Alfred Innocent Museremu, figure controversée, fait son retour en tant que Secrétaire permanent du Conseil national de sécurité. Ancien chef du renseignement intérieur sous le régime Ndayishimiye, Museremu est accusé de graves violations des droits humains. Sa réintégration suscite de vives inquiétudes quant à l’avenir des droits humains au Burundi et pose la question de son influence dans le régime actuel.

Le 13 septembre 2024 : Après près de deux ans d’éloignement des hautes fonctions, Alfred Innocent Museremu vient d’être nommé Secrétaire permanent du Conseil national de sécurité. Le colonel Museremu avait déjà occupé des fonctions importantes au début du régime du président Ndayishimiye, notamment avec sa nomination à la tête du renseignement intérieur (connue sous l’acronyme DDI) en juillet 2020. Cette nomination représentait une récompense significative de la part du président Ndayishimiye, car Alfred Innocent Museremu avait assuré sa sécurité durant la campagne présidentielle de 2020, devenant ainsi son conseiller stratégique principal. Cependant, en juillet 2022, alors que Ndayishimiye préparait l’éviction du général Bunyoni, Museremu fut déplacé du DDI et assigné au renseignement extérieur. Il occupa ce poste pendant une courte période, mais passa ensuite beaucoup de temps à se défendre devant diverses instances judiciaires et de renseignement. Avant la fin de l’année 2022, il fut démis de ses fonctions de renseignement et affecté à un poste au sein de la police dans la province de Muyinga, sans réelle responsabilité. Durant cette période, il apparaissait rarement dans la province, passant la majorité de son temps à Bujumbura.

Une figure militaire liée à de nombreux abus

L’éviction du colonel Alfred Innocent Museremu avait suscité l’espoir que le Président Ndayishimiye allait corriger certains des abus perçus au sein de son gouvernement. À ce moment-là, il venait de se débarrasser d’un des officiers supérieurs dont les actions avaient terni l’image de son administration.
Les images d’Alfred Innocent Museremu tirant sur des manifestants en 2015, ainsi que celles le montrant frappant un enfant, sont parmi les photos qui ont fait le tour du monde cette année-là. Museremu est reconnu comme l’un des principaux acteurs des violations des droits de l’homme durant le troisième mandat de Pierre Nkurunziza.

Lorsque Museremu fut nommé à la tête du renseignement intérieur (DDI), il s’empressa de réduire l’influence de plusieurs agents importants du renseignement proches de Nkurunziza. Néanmoins, à partir de juillet 2020, les pratiques répressives du troisième mandat de Nkurunziza revinrent en force, notamment les disparitions forcées. En trois mois seulement, le renseignement intérieur fut impliqué dans la disparition de plus de 20 personnes, toujours portées disparues à ce jour.

En 2021, Museremu fut particulièrement affaibli lorsque le renseignement militaire (G2) commença à empiéter sur ses compétences, notamment en matière de disparitions forcées à l’échelle nationale, tout en attirant certains de ses informateurs et en bénéficiant de budgets plus importants que ceux alloués à son service. Ces tensions exacerbèrent le conflit entre le colonel Museremu et le colonel Ernest Musaba, à la tête du renseignement militaire.

En plus de ces graves violations des droits humains, Museremu fut accusé à plusieurs reprises de corruption, notamment auprès de divers hommes d’affaires. Il fut impliqué dans l’emprisonnement arbitraire de nombreuses personnes, dont certaines croupissent encore dans différentes prisons. Museremu dictait même aux juges les décisions à rendre dans les affaires concernant les individus qu’il faisait arrêter de manière abusive. Parmi les victimes de ses abus, on compte de nombreux membres du parti CNL, dont Augustin Matata et Innocent Barutwanayo, qui moururent sous la torture lors d’interrogatoires. Museremu fut également impliqué dans l’incendie de la prison centrale de Gitega en décembre 2021 et dans le camouflage des corps des détenus.

Parmi les affaires marquantes durant son mandat au DDI, on note l’assassinat de Thierry Kubwimana en novembre 2020 et l’arrestation de sa veuve, Christa Kaneza, alors âgée de 18 ans, accusée de l’avoir tué. Libérée sous la pression des organisations de défense des droits de l’homme, cette affaire reste sans éclaircissement sur les réels auteurs de l’assassinat. Une autre affaire complexe est l’arrestation du Dr Christophe Sahabo en mars 2022 dans le cadre d’une tentative de s’emparer de Kira Hospital. À ce jour, l’injustice à l’encontre de Christophe Sahabo continue, avec des menaces sur sa vie.

Destitution et retour de Museremu

L’année 2022 fut particulièrement difficile pour le colonel Alfred Innocent Museremu. Il était proche du général Gabriel Nizigama, alors conseiller principal à la présidence. Nizigama fut soupçonné d’avoir planifié un coup d’État contre le président Ndayishimiye cette année-là, ce qui conduisit à son éviction et à des passages à tabac sévères. Museremu fut également démis de ses fonctions, soupçonné d’être complice de Nizigama.
Cependant, contrairement au général Alain Guillaume Bunyoni, ces deux hommes n’ont pas été emprisonnés. Leur influence tenait en partie à leurs relations avec Angeline Ndayishimiye, l’épouse du président. Selon certaines informations, Angeline Ndayishimiye aurait usé de son influence pour que Museremu retrouve une position de pouvoir. Museremu lui-même ne cachait pas à ses proches qu’il reviendrait bientôt à des fonctions importantes. Récemment, le président Ndayishimiye avait envisagé de suspendre Museremu en raison des informations sur ses malversations lorsqu’il était à la tête du DDI. Cependant, Angeline Ndayishimiye a continué de plaider en faveur de son retour, rappelant qu’il avait été un pilier durant leur ascension au pouvoir.

Que représente le poste actuel de Museremu ?

Le poste de Secrétaire permanent du Conseil national de sécurité n’offre pas de véritable pouvoir exécutif. C’est cependant un poste honorifique qui permet à Museremu de sortir de l’isolement dans lequel il se trouvait depuis près de deux ans. À ce poste, il aura accès à une grande quantité d’informations sur la sécurité nationale et les activités des différents ministères, mais n’aura pas de pouvoir de décision. Il fera simplement des rapports au chef de l’État et lui soumettra des recommandations sur la politique de sécurité et de défense.

Ce poste fut autrefois attribué au général Alain Guillaume Bunyoni en novembre 2014, après que 13 généraux ex-combattants du CNDD-FDD aient écrit une lettre demandant sa démission au président Nkurunziza. À l’époque, Nkurunziza avait donné ce poste à Bunyoni pour éviter son humiliation et le protéger de toute autre attaque, tout en limitant son influence. C’est un poste souvent réservé à des figures politiques que le régime veut écarter des positions de pouvoir sans pour autant les humilier publiquement.

La nomination de Museremu rappelle l’influence d’Angeline Ndayishimiye dans le gouvernement de son mari. Cela ressemble à une forme de réhabilitation, sans pour autant restaurer pleinement la confiance d’antan. Peut-être que d’autres décisions suivront...

Pour les défenseurs des droits de l’homme, la nomination du colonel Alfred Innocent Museremu signifie que les droits humains ne seront pas une priorité dans le gouvernement de Ndayishimiye. C’est un message très inquiétant pour les prisonniers politiques injustement emprisonnés sur ordre de Museremu.

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